Quatrième colloque international francophone sur le traitement de la dépendance aux opioïdes

Quatrième colloque international francophone sur le traitement de la dépendance aux opioïdes
18 décembre 2014 au 19 décembre 2014

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INTRODUCTION

C’est sous le thème principal des Garanties d’accès et inter-actions que le colloque TDO4 s’est déroulé à Bruxelles les 18 et 19 décembre 2014. Malgré des moyens financiers beaucoup moins importants que ceux dont disposait la Suisse pour TDO3, la Fédération bruxelloise des institutions pour toxicomanes (FEDITO), principal maître d’œuvre, a réussi à attirer 450 participants (la Suisse en avait enregistré 470).

Au programme, vingt ateliers, dix plénières et des orateurs, conférenciers et participants provenant de trois continents – l’Europe, l’Amérique et l’Afrique. En plus de poursuivre une discussion éclairée sur les enjeux TDO communs, amorcée à Montréal avec TDO1 en 2008 à l’initiative du Cran, TDO4 a traité de tendances émergentes, souvent spécifiques à certaines régions du monde, mais susceptibles de traverser avec le temps les frontières. Débats approfondis pour les uns, révélations chocs pour d’autres, le contenu de TDO4 aura fourni une plateforme essentielle pour expliquer, étonner et provoquer de nouvelles réflexions à l’échelle locale, nationale et internationale. À l’image du marché dynamique d’opioïdes licites et illicites et de la montée en flèche de la consommation d’opioïdes d’ordonnance, la capacité des colloques TDO à s’actualiser et à se transformer aura non seulement servi à échanger sur des problématiques de l’heure, mais aussi à ouvrir de grandes fenêtres sur une pharmacopée à élargir et des approches scientifiques et cliniques à développer.

APPORT DES CONFÉRENCIERS DU CRAN ET DES ORATEURS NORD-AMÉRICAINS RECRUTÉS PAR LE QUÉBEC

Les conférenciers et participants du Cran étaient David Barbeau (L’incapacité à l’emploi comme moyen d’insertion sociale ?), Marie-Ève Goyer (Vers un service d’injection supervisée à Montréal ; Les interventions à plusieurs dans un contexte de grande précarité… ou de l’interdisciplinarité micro à macro), Élaine Polflit (La substitution auprès d’usagers précaires ayant des troubles de santé mentale sans suivi psychiatrique : une perspective montréalaise), Shany Lavoie et Anne-Marie Mecteau. Ils étaient accompagnés d’Ivanka Stewart-Patterson, coordonnatrice de la délégation nord-américaine à TDO4. Du côté de Méta d’Âme, Guy Pierre Lévesque, directeur général, et Kenneth Wong, coordonnateur, ont donné une voix aux usagers (L’implication des usagers dans l’élaboration et le fonctionnement de projets de réduction des risques).

Les médecins et intervenants psychosociaux du Cran ont contribué de manière significative à la discussion sur le besoin de faciliter une plus grande collaboration interdisciplinaire, intersectorielle et interinstitutionnelle, et d’éliminer les obstacles socioéconomiques au succès du traitement de la dépendance aux opioïdes.

Les présentations des experts Brigitte Kieffer (Nouveaux visages paradigmatiques de la dépendance aux opioïdes : l’émergence des réponses neurobiologiques) et Wilson Compton (Prescription Drug Abuse : It’s Not What the Doctor Ordered) ont soulevé l’admiration, la curiosité et l’étonnement. Dans un exposé s’appuyant sur les connaissances de pointe en génétique moléculaire, la vulgarisation scientifique et une imagerie cérébrale de toute dernière génération, la Dre Kieffer, neuroscientifique au Centre de recherche de l’Institut Douglas, a expliqué les effets des opioïdes sur les récepteurs mu, delta et kappa. L’auditoire a eu droit à des images saisissantes d’un système neuromodulateur endogène « piraté » par les opioïdes. Stupéfaction générale aussi lorsque le Dr Compton, directeur adjoint du National Institute on Drug Abuse (NIDA), a démontré que les surdoses liées à la consommation d’opioïdes représentent dorénavant la principale cause de décès accidentels aux États-Unis, devançant le nombre d’accidents mortels de la route.

AUTRES APPRENTISSAGES CLÉS

Les cliniciens du Cran ont exprimé le souhait que la Dre Kieffer s’adresse éventuellement à leurs collègues à Montréal sur l’interface entre les neurosciences et les TDO. Parallèlement, au lendemain de la présentation du Dr Compton, l’équipe du Cran a rencontré celui-ci au petit déjeuner. Cette invitation en marge du colloque a permis au Cran et à NIDA de faire connaissance et d’échanger sur les pratiques cliniques et les besoins de surveillance en matière d’abus des opioïdes d’ordonnance.

Le programme du colloque a initié les membres du Cran à de nombreux autres savoirs et savoir-faire. En voici quelques exemples :

Au cours de l’atelier Élargissement de la pharmacopée, Robert Hämmig, président de la Société suisse de médecine de l’addiction a traité de la morphine retard comme traitement alternatif pour la dépendance aux opioïdes. Les capsules SROM (slow-release oral morphine) produisent des effets comparables à ceux de la méthadone (rétention en traitement, sûreté, tolérabilité), un paramètre QoL (quality of life) élevé, un intervalle TQc (risque d’arythmie mesuré par électrocardiogramme) plus bas que celui associé à la méthadone, une diminution de la sudation excessive et des cravings pour l’héroïne, ainsi qu’un niveau élevé de satisfaction à l’égard du traitement. Ces résultats ont été corroborés dans une étude du projet HAT (Heroin-Assisted Treatment) au Royaume-Uni, publiée en 2012. Une telle performance laisse entrevoir la possibilité de recourir au Cran à la morphine retard pour les usagers réfractaires aux traitements conventionnels.

En plénière intitulée Médecine face à la justice : addiction, réduction des risques et continuité des soins en prison, Hans Wolff, médecin-chef du service de médecine pénitentiaire des Hôpitaux universitaires de Genève, a quant à lui fourni des preuves irréfutables que le programme suisse d’échange de seringues (PES) en milieu carcéral est efficace et qu’il augmente non seulement la sécurité des usagers, mais aussi celle des agents correctionnels. Il s’agit d’un pas de plus vers le droit à la santé des détenus et d’un plaidoyer pour des services de santé indépendants du système de justice. Il est à souhaiter que de telles données fassent écho au Québec.

CONCLUSION 

Tout en poursuivant le dialogue international TDO, le colloque TDO4 aura fourni d’importantes pistes de réflexion et même brisé la glace à plusieurs points de vue. Voici quelques exemples : le développement des solutions neurobiologiques en passant par une meilleure compréhension du rôle des récepteurs mu, kappa et delta dans la dépendance aux opioïdes et du rôle de la génétique pour expliquer certains aspects de la tolérance) ; le besoin de fournir de manière systémique et intégrée les maillons professionnels manquants, par exemple, des services de psychiatrie dans les cas de dépendance accompagnés de troubles de santé mentale ; et la prise de conscience de l’ampleur du phénomène d’abus des opioïdes d’ordonnance en Amérique du Nord. À mesure que les enjeux se mondialisent, l’action de chaque organisme ou intervenant local, régional ou national s’inscrit désormais davantage dans une réalité planétaire. Plus que jamais, nous avons besoin de parcourir avec un esprit visionnaire et novateur la trajectoire entre le laboratoire de recherche et le travail de terrain. Nous nous trouvons bel et bien devant un continuum interdisciplinaire, intersectoriel, international et interculturel.

À preuve, le Maroc a exprimé le souhait de devenir l’hôte du colloque TDO5, en 2016. Le Maroc et la Tunisie (cette dernière, inspirée par le Printemps arabe) siègent au comité de travail d’un projet européen et méditerranéen visant la réglementation des traitements agonistes aux opioïdes dans un contexte national. Cette démarche est soutenue par le Groupe Pompidou, émanant du Conseil de l’Europe. Politiquement, le Maroc et la Tunisie entretiennent de bonnes relations et ce bon voisinage facilitera la diffusion des connaissances en TDO dans le bassin méditerranéen et sur le continent africain.

En terminant, il faudra que le comité international se souvienne de la ferme intervention du directeur général de Méta d`Âme à la clôture du colloque : si la voix des usagers est parvenue à se faire entendre à TDO4, il faudra qu’elle soit beaucoup plus forte à TDO5. Après tout, ce sont les usagers qui sont fondamentalement interpelés par ce qui concerne les TDO.

À bientôt, à TDO5, en 2016 !

Ivanka Stewart-Patterson, coordonnatrice, délégation nord-américaine au colloque TDO4 et responsable des communications, Cran, le 2 février 2015

ANNEXE

À TDO4, ils et elles on dit…

Support. Don’t punish. (Slogan du International Drug Policy Consortium, réseau mondial de 130 organismes sans but lucratif dédiés aux enjeux liés à la production, au trafic et à l’usage des drogues. Le siège du réseau est à Londres, au Royaume-Uni.)

[…]

Among global trends,

  • There were 200 000 opiod-related deaths in 2013.
  • Opiate use is increasing in countries such as Kenya and Cambodia.
  • Brave governments are too few.
  • Opioid dependence must be included in the portfolio of health issues.
  • Nine countries have drug consumption rooms.

John-Peeter Kools, président du conseil d’administration de Harm Reduction International, Amsterdam

***

La crise [économique] est un révélateur et un accélérateur.

Alexis Goosdeel, chef de l’unité Reitox & International Cooperation, Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, Lisbonne, Portugal

***

Il nous faut aller vers les univers de vie et les univers professionnels.

Élaine Polflit, cheffe d’équipe, Services bas seuil Relais, Centre de recherche et d’aide pour narcomanes, Montréal

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Au sujet de la coupure avec la famille et l’entourage :

[Les jeunes décrocheurs qui vivent dans la rue] ont mis à l’écart l’insupportable : souvent, l’école n’était pas le problème.

Jean-Hugues Morales, Comité d’étude et d’information sur la drogue et les addictions, copilote de la transférabilité du programme TAPAJ (Travail alternatif payé à la journée) – France). Ce programme est « un marchepied vers un revenu légal et une alternative aux chantiers d’insertion classiques ».

***

Je vais vous raconter une histoire scientifique, une histoire neuroscientifique exemplaire, qui commence de la plante aux récepteurs.

[…]

[La dépendance aux opioïdes] a pour effet de pirater le système neuromodulateur endogène (c’est-à-dire, interne : NDLR).

[…]

Les récepteurs mu sont responsables de l’usage récréatif des drogues. Ils sont essentiels pour les processus de récompense : artificiels (drogues) ou naturels (activité sociale)… les récepteurs mu restent les récepteurs majeurs pour l’analgésie et l’euphorie. [Le défi est de] dissocier les effets thérapeutique uniques des opiacés des effets délétères (dépression respiratoire, constipation, tolérance et dépendance).

Dre Brigitte Kieffer, spécialiste en génétique moléculaire et directrice scientifique du Centre de recherche de l’Institut Douglas, Montréal

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Au sujet du projet de réglementation des traitements agonistes aux opioïdes :

La plupart des normes décrites apparaissent liées à un historique de cadre répressif sans relation avec les obligations de l’État en matière de droit à la santé. Sous l’impulsion de l’Office fédéral suisse de la santé publique et du Groupe Pompidou, du Conseil de l’Europe, un groupe d’experts de pays européens et du programme MedNET (Réseau méditerranéen de coopération sur les drogues et les addictions) couvrant le domaine des soins et du droit de la santé a été mis sur pied afin d’identifier des recommandations pour les législations […]

Cet atelier sera l’occasion de présenter les recommandations de l’OMS [… et] du projet Access to opioid medication in Europe (ATOME). Il permettra également de présenter les résultats des observations et conclusions de la première réunion du Groupe d’experts (Paris, 8 et 9 septembre 2014) […] et de discuter en particulier de l’opportunité de réorienter le cadre et les moyens alloués à la formation pré-graduée et post-graduée des médecins et pharmaciens en matière de traitements agonistes aux opioides, de sorte que tout médecin ou tout pharmacien puisse mettre en œuvre des traitements au sortir des études sans licences supplémentaires.

Olivier Simon, membre du comité de direction du projet de réglementation des traitements agonistes aux opioïdes et médecin associé, section d’addictologie, Service de psychiatrie communautaire, Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne, Suisse

***

En Europe, 20 à 30 % de la population pénitentiaire est liée aux drogues. Au Canada, 80 % des usagers en prison échangent des seringues. Chaque année, aux États-Unis, 29 à 43 % des patients HVC transitent par la prison.

[…]

Le programme d’échange de seringues (PES) est implanté dans seulement 13 des 110 prisons suisses. La taille idéale d’une prison [pour implanter ce programme] est de 200 à 300 détenus. La distribution de la boîte Flash à la porte de la cellule signifie sécurité pour les agents. On observe moins de blessures [chez les agents correctionnels] lors de fouilles de cellule [comparativement au risque que pose] une seringue usagée, placée sous un oreiller qu’on retourne. On ne note pas non plus d’augmentation de l’usage de drogue.

[…]

Le PES est un programme à faible coût, facile et sûr.

Hans Wolff, médecin-chef du service de médecine pénitentiaire, Hôpitaux universitaires de Genève

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Au Canada, le budget de la Stratégie nationale antidrogue, implantée en 2007, s’élève à 530 millions de dollars. De ce montant, 70 % est dépensé pour l’application de la loi.

Louis Letellier de St-Just, président du conseil d’administration de Cactus Montréal et avocat en droit de la santé